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dans nos histoires

réagir sans violence

Lizzie Crowdagger

Une nouvelle de Lizzie Crowdagger dans l’univers d’Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires), mettant en scène le personnage de Sigkill.

C’était un samedi soir, et Sigkill marchait dans la rue pour rentrer chez elle. Or, Sigkill n’aimait pas marcher dans la rue un samedi soir. Il y avait trop de gens à son goût, et elle n’aimait pas les gens. Ils la regardaient toujours avec un air bizarre, quand ils ne s’amusaient pas à venir lui parler, ou pire.

Pour éviter la crise de panique, elle avait mis ses écouteurs et écoutait du métal à un volume élevé, ce qui avait pour avantage de lui permettre de ne pas entendre les gens, y compris ceux qui auraient eu la mauvaise idée de vouloir lui parler. Malheureusement, elle les voyait toujours, et elle apercevait toujours leurs regards remplis d’une curiosité malsaine. Qui était cette fille aux cheveux courts et rouges habillée en costard-cravate et avec des docs roses ? semblaient-ils demander. Ou alors : était-ce une fille ou un garçon ? Sigkill n’était pas très douée pour analyser l’expression des gens, mais là, malheureusement, elle ne comprenait que trop bien.

Elle ne pouvait pas ne pas les voir, mais elle pouvait faire comme si. Et elle pouvait occuper son esprit à des choses intéressantes pour ne pas penser à ce que eux pouvaient bien penser. Elle était donc plongée dans ses réflexions, à se demander comment elle pourrait bien améliorer les performances du morceau de code qu’elle avait écrit aujourd’hui et qui était un peu poussif. Peut-être pourrait-elle faire un peu de profiling en rentrant chez elle, histoire de voir quels morceaux du programme prenaient le plus de temps. Ou peut-être devrait-elle prendre le temps de revoir tout l’algorithme, il y avait sans doute moyen de...

Elle interrompit le fil de ses pensées, et s’immobilisa par la même occasion, lorsque deux hommes, décidés à interagir avec elle malgré ses barrières sonores et mentales, lui bloquèrent le chemin.

L’un d’entre eux dit quelque chose, qu’elle n’entendit pas à cause de son baladeur. Ou grâce à son baladeur, tout est une question de point de vue.

Sigkill s’apprêtait à essayer de les contourner, mais le second type approcha sa main et lui retira un de ses écouteurs. Elle déglutit et sentit la panique remonter.

« On se demandait, reprit le premier type, t’es quoi exactement ? C’est quoi, cette tenue ? »

Sigkill ne répondit rien. Elle en était incapable. D’ailleurs, à quoi bon ? On voyait bien ce que c’était, sa tenue, et elle doutait que les deux hommes voulussent connaître les références exactes pour parler mode en face de leurs amis.

« T’es une gouine ? demanda le second homme. Un pédé ? »

Sigkill restait silencieuse et figée. Elle se disait que dans son sac en bandoulière, elle avait un pistolet électrique qu’elle avait fait elle-même, mais elle n’osait pas l’utiliser. Et puis, elle n’aimait pas avoir recours à la violence.

« Ben quoi, tu réponds pas ? demanda le second type en posant sa main sur l’épaule de Sigkill. Tu as perdu ta langue ? C’est un minou qui te l’a bouffé ? »

Les deux hommes se mirent à rire. Puis celui qui avait posé la main sur son épaule posa la seconde sur celle de son ami. Sigkill, toujours incapable de dire quoi que ce soit, se demandait si utiliser un pistolet électrique relevait de la violence. Un coup de poing, d’accord, c’était violent, mais là il ne s’agissait jamais que de gentils petits électrons. C’était de la science, quelque part. Cela relevait plutôt de l’expérience, en fin de compte.

« Hey, on pourrait faire un plan à trois, ça te dirait pas ? »

Sigkill finit par se décider, uniquement pour des raisons scientifiques, à tester l’appareil qu’elle avait construit elle-même sur deux sujets qui semblaient manifestement se porter volontaires pour faire avancer le progrès. Elle dégaina donc son pistolet, le plaqua au niveau du cou de l’homme qui ne la tenait pas, et appuya sur la détente.

Elle reçut alors une décharge qu’elle qualifia instantanément de plutôt forte qui l’envoya valser en arrière et la fit s’écrouler par terre. Il ne lui fallut cependant que quelques secondes pour se relever, car elle prenait des décharges électriques environ deux fois par semaine et avait développé une forme de résistance.

Ce n’était pas le cas des deux hommes, cependant, surtout qu’eux avaient pris le coup de plein fouet. Ils gisaient tous deux par terre et se convulsaient en bavant, la peau et les cheveux légèrement carbonisés.

Sigkill remit ses écouteurs, se remit en chemin, et rangea son pistolet électrique Do It Yourself dans son sac. Puis, tandis qu’elle réajustait le nœud de sa cravate, elle prit mentalement note des ajustements qu’il faudrait qu’elle apporte à son nouvel engin, qui avait manifestement besoin d’être un peu recalibré.

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